Note pour l’exposition des œuvres de Mengzhi Zheng au Musée de Gap 2019/2020,
par Jean-Louis Poitevin, écrivain, critique d’art, membre de l’AICA,
édacteur en chef de la revue en ligne www.tk-21.com
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En mettant à sa disposition une pièce entière, le Musée de Gap offre à Mengzhi Zheng la possibilité de réaliser un module d’exposition personnelle, en tout cas de montrer, dans un seul lieu, les trois grandes facettes qui composent son travail, les dessins et photographies, les maquettes abandonnées et une installation qu’il nomme aussi architecture non fonctionnelle.
En installant ses Maquettes Abandonnées le long d’un des murs sur une longue ligne droite à 1,20m du sol, Mengzhi Zheng peut inscrire son travail dans une perspective singulière, celle du dépli.
En effet, l’accumulation poétique d’éléments inutiles, morceaux de papier, de carton, bûchettes ou autres, avec lesquels il compose ces œuvres, s’impose comme une manière de tenir en suspens un double geste, celui de plier et celui de déplier ou si l’on veut de déployer. Ces maquettes, par leur fragilité même, mises à portée d’œil, nous engagent mentalement dans la perception directe du processus même de la création. On peut, en le regardant ainsi, imaginer les gestes rapides de l’artiste visant à donner une consistance palpable à la trame imaginale dans laquelle vibre son esprit quand il invente.
Cette ligne est celle d’un déploiement qui associe la puissance plastique de chaque maquette à la puissance offensive d’une ligne de force. Elle permet de révéler la dimension sculpturale de ce travail dont l’une des vertus est de nous conduire à modifier notre appréhension de l’espace.
Trois grands types de surface déterminent la vision qu’offrent les expositions de Mengzhi Zheng, les murs, le sol et les surfaces porteuses d’art que sont les feuilles exposées qu’elles soient gravure, dessin ou photographie.
S’il faut relever une telle « évidence », c’est que ces éléments ne sont pas seulement investis les uns par les autres, les murs et le sol par les œuvres, mais qu’ils sont conçus, pensés et mis en scène pour interagir entre eux et qu’une des fonctions essentielles de l’exposition est de rendre ce lien perceptible.
Les dessins ou les gravures comme les photographies, mettent en scène des lignes de forces qui dessinent moins qu’elles ne découpent le possible bidimensionnel pour en révéler les possibilités de déploiement dans l’espace.
Les maquettes sont des déploiements de micro-surfaces fragmentaires, rassemblées, accumulées et ordonnées selon la subtile loi du chaos créateur.
Les installations ou architectures non fonctionnelles inscrivent entre sol et murs des lignes de force qui révèlent l’existence d’un vide à fort potentiel énergétique. Elles redoublent à leur manière celles qui s’inscrivent sur les feuilles des gravures, des dessins ou des images et les font exister dans l’entre-deux « fractal » des décisions plastiques.
Ici, donc, les surfaces jouent un rôle puissant, celui de champs de force sur lesquels peuvent se déployer les regards des spectateurs.
De l’espace, nous croyons tout savoir parce que, avec nos yeux ouverts sur le monde nous pensons que nous « le » voyons. La philosophie a attiré, depuis toujours, notre attention sur le fait que pensée et perception immédiate ne coïncidaient pas. Par contre, l’art, lui, peut nous conduire à le vivre autrement au point de permettre à nos sensations et nos pensées de se rejoindre.
Car si l’espace nous semble être un « donné », un peintre ou un sculpteur par exemple a la capacité de nous faire comprendre qu’il est autre chose, un magma de forces subtiles, parfois puissantes, parfois infimes, mais toujours essentielles et vitales. Car ce sont elles qui, dans leur déploiement, font exister le visible.
Mengzhi Zheng est de ces artistes qui par intuition et par réflexion font de cet enjeu sinon le sujet unique de leurs œuvres, du moins le ressort de la révélation qu’elles nous offrent.
Il suffit pour en prendre conscience de regarder ici le positionnement de la structure de bois jaune de l’architecture fonctionnelle, et de l’écho subtil qu’elle entretient avec les tonalités colorées du sol. Elle semble à la fois plonger dans le mur et sortir du mur, en même temps qu’elle semble installée entre sol et plafond comme si, dans le vide qu’elle ménage et rend sensible, la terre et le ciel y étaient convoqués.
La fonction de ces lignes de bois jaune est comparable à celle des lignes d’une gravure ou d’un dessin, à ceci près qu’elles dessinent, ici, un volume. En découpant des zones de visibilité dans le mur, elles permettent d’appréhender ce qu’il en est non pas tant de la vision que du regard. Le regard constitue la part incompressible de l’œuvre qui relie celui qui la fait à celui qui la reçoit.
En installant quatre photographies dans ces zones libres formant cadres, Mengzhi Zheng nous conduit à la fois à pénétrer dans la structure découpant le vide pour en faire un espace et à plonger dans la matérialité même d’une image pour en recevoir le message.
Puis, on remarque la sculpture qui se trouve à l’une des extrémités de la salle. Elle est différente des autres. Elle est composée de trois éléments rassemblés et superposés en un bloc, rappelant la colonne sans fin de Brancusi. Singulière, cette œuvre laisse voir des éléments en bois clair qui sont comme repliés sur eux-mêmes et retenus par des éléments de bois jaune. Ces lignes jaunes « figurent » des caisses de transport. Mais, étant sans parois, elles laissent voir ce qui se trouve à l’intérieur.
On fait donc face à une sculpture composée de l’empilement de trois œuvres n’ayant été ni dépliées, ni déployées. Pourtant, installées les unes sur les autres, comme si on confondait, ici, l’emballage et l’œuvre, la ligne et la forme, le réceptacle et le contenu, le secret de la construction et la mise en scène de son exposition, elles offrent au regard circonspect un moment de trouble et de révélation.
Car ce qui est à la fois écrit et exposé est avant tout dessiné et construit, produit et posé. Cette sculpture inédite, qui est comme simplement posée là, révèle qu’une des problématiques parmi celles qui sont au cœur du travail de Mengzhi Zheng relève du pli et de son corolaire, le dépli. Une autre est celle de la manifestation sensible de lignes visibles-invisibles, vues-non-vues.
Chacune de ses œuvres, on le comprend alors, est à appréhender en fonction de cette présentation nouvelle, comme un moment singulier dans l’infini déploiement du visible et comme une mise en scène d’un processus plus profond encore, celui de la genèse même de l’espace.
Si l’on rassemble mentalement toutes ces perceptions diffuses que nous offre cette exposition, on s’approche alors d’une révélation esthétique et sensible, spirituelle et plastique, qui permet de percevoir que l’espace n’est peut-être pas autre chose que ce « lieu » mental qui, déplié, déployé par des lignes vibratiles, permet à la révélation de ce qui est comme retenu dans les plis, d’avoir lieu sous nos yeux.
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Photo : Mengzhi Zheng © Adagp, Paris